Alors que la crise frappe durement l’Italie et que les plans d’austérité se multiplient, la fraude sociale et le marché noir n’ont jamais été aussi développés en Italie. Dans un pays qui fête ses 150 ans, l’esprit citoyen n’est peut-être pas encore assez fort pour combattre ce fléau
Derrière la locomotive franco-allemande, l’Italie est la troisième puissance économique européenne forte de son tissu industriel et d’un réseau de petites et moyennes entreprises bien implantées. Malgré ces atouts, l’Italie souffre d’un mal qui le ronge depuis des années. Le marché noir et la fraude ont pignon sur rue dans le pays et ruinent tous les efforts de lutte contre les déficits. Ces fléaux touchent tous les secteurs de l’économie et affaiblissent un Etat dont les dettes inquiètent toute l’Europe.
Un comportement généralisé
Si Mario Monti a décrété "Cause Nationale", la lutte contre le marché noir, ce n’est pas pour rien. Les économies souterraines sont légion dans le pays et personne ne s’émeut de cette situation. Fausse déclaration des revenus, achats et ventes non déclarés, travail au noir, contrats de location fictifs : les exemples ne manquent pas.
Les arrangements entre locataires et propriétaires sont par exemple très fréquents : le propriétaire déclare un loyer réduit de moitié ou n’enregistre pas le contrat de location. Le locataire paye alors en liquide et le propriétaire est exempt de taxes. Pourtant le locataire a tout à gagner à enregistrer auprès de l’Agenzia delle Entrate son contrat de location, comme l’indique le décret législatif n°23 de 2011, mentionné dans l’article "Un contrat à prix réduit" de la Repubblica.it du 13 février 2012.
Le monde de l’entreprise participe lui aussi à la fraude. On ne compte plus les artisans qui travaillent au noir et les chantiers sans permis de construire. Les pertes sont telles qu’une vaste campagne de publicité (vidéo) diffusée dans tout le pays titre "Les taxes que vous payez financent vos équipements". En 2010, la Cour des Compte italienne évaluait le préjudice à 60 milliards d’euros annuel de pure perte. De quoi financer deux plans d’austérité.
L’exil des plus hauts revenus
A l’image des grosses fortunes françaises et allemandes, la bourgeoisie italienne s’exile quand elle estime qu’elle paye trop d’impôts. Le Luxembourg, la Suisse ou Monaco ne se trouvent qu’à quelques encablures du pays mais un autre phénomène est plus fréquent en Italie qu’ailleurs. Les Italiens les plus fortunés n’hésitent pas à frauder et à déclarer des revenus beaucoup moins importants que ceux qu’ils perçoivent réellement, tout en restant en Italie.
Pour marquer un grand coup, Mario Monti s’est attaqué à ces citoyens fraudeurs dès son arrivée. Ainsi, le soir du réveillon, dans la luxueuse station de ski de Cortina D’Ampezzo, 245 grandes fortunes ont été contrôlées. Parmi ces contrôles, quarante-deux hommes d’affaires déclaraient des revenus inférieurs à 30.000 euros par an alors qu’ils se trouvaient au volant de voiture de luxe et qu’ils résidaient dans des palaces de la station. Mais s’il ne s’agit que d’une goutte d’eau dans l’océan, il semblerait que les citoyens lambda se soient lassés des "evasori" : en 2011, la délation de l’évasion fiscale a augmenté de 140% par rapport à 2010. Selon le Corriere della Sera du 16 février, ce sont 42 millions d’euros non déclarés qui ont été découverts grâce à ces plaintes.
La Mafia, reine du marché noir
Le fléau du marché noir et de l’Italie toute entière reste la mafia. Le "réseau" génère des revenus énormes en s’octroyant des marchés immobiliers en toute illégalité. L’argent qu’il récupère de manière frauduleuse est ensuite réinvesti dans le commerce légal et rapporte des sommes considérables. La mafia peut ainsi disposer de fonds quasiment illimités et investir comme bon lui semble toute cette manne financière. Par exemple, la seule Cosa Nostra brasse 13 milliards d’euros par an selon une étude européenne inscrite dans le rapport Eurispes.
Dans un pays au fort accent régional, l’esprit citoyen des Italiens n’est pas assez fort pour combattre ce genre de comportement. La fraude, le marché noir ou la mafia font partie du quotidien. "Dénoncer une fraude, c’est dénoncer un voisin, un ami ou un membre de sa famille" déclare Sandro, pas étonnant que le marché noir soit si bien implanté. Il reste encore du chemin à faire mais rien ne sera possible sans le concours de la population.
www.lepetitjournal.com/rome