Ce qui se cache derrière Battisti
Pour Armando Spataro, procureur de la République au tribunal de Milan et principal accusateur de Cesare Battisti, l'homme âgé de 56 ans que le Brésil vient de remettre en liberté n'est pas, comme l'écrivent les médias français et brésiliens un «ex-activiste», mais un ex-criminel de droit commun, qui, après un premier délit et un premier emprisonnement, se politise en taule et donne a posteriori à son penchant violent une tonalité de rébellion politique.
Rien ne le fait enrager davantage, ce magistrat connu pour ses positions de gauche, que l'extraordinaire amalgame qui a conduit le Tribunal suprême de Brasilia et les intellectuels français, à confondre des actes de délinquance commune avec une révolte extrémiste. Lorsque par exemple Cesare Battisti programme l'assassinat du bijoutier milanais Torregiani, relève ce magistrat, ce n'est même pas pour le punir d'être riche, ou supposé tel - ce qui serait d'ailleurs plus que discutable- mais parce que Torregiani a refusé de se rendre lors d'un hold-up des amis de Battisti en empoignant un revolver.
Ces mêmes amis de Battisti sont revenus dans la bijouterie et l'ont descendu, blessant par ailleurs grièvement son fils, un adolescent, qui est encore aujourd'hui sur une chaise roulante de paralytique. Le topo est identique pour les trois autres assassinats pour lesquels la justice italienne a condamné en contumace Battisti. En contumace mais en présence des avocats nommés par le criminel. Au point que la Cour européenne des Droits de l'Homme, saisie par les actuels défenseurs de Battisti, a donné raison à l'Italie, concluant que sa condamnation est légitime et correcte du point de vue du droit.
Que se passe-t-il donc qui fait que l'Italie paye en termes de crédibilité internationale des actes de justice pourtant légitimes? Il se passe que l'Italie d'aujourd'hui ne jouit pas d'un grand prestige, en raison des frasques invraisemblables de son Premier ministre, et du caractère populiste de sa politique. Mais il faut remonter plus loin, aux années 80, lorsqu'un Président de la République nommé François Mitterrand élaborait une doctrine de la «non-extradition» des terroristes réfugiés en France, parce qu'il était intimement convaincu que là où il y a terrorisme c'est qu'il n'y a pas démocratie. Et alors on n'extrade pas vers un pays «non démocratique».
Cette « doctrine » est éminemment contestable: ne serait ce que parce que l'Italie s'est avérée capable de battre un terrorisme particulièrement virulent (responsable de plus de 400 morts!), sans instaurer le moindre tribunal spécial, et sans faire voter une loi spéciale, sans enfreindre les règles de la démocratie. Oui le terrorisme italien a été battu par la mobilisation de la société civile, et spécialement du monde ouvrier, et par une magistrature courageuse.
Il y a donc, de manière constante et réitérée, une espèce d'erreur de jugement de la part de certains pays démocratiques, dont la France, à l'égard du terrorisme italien. Oublieuse de son propre comportement particulièrement répressif et disons «insensible» envers les membres d'Action directe une fois qu'ils ont été condamnés, la France, avec ses intellectuels en première ligne, fait donc preuve d'une étonnante cécité.
Marcelle Padovani est la correspondante de l'Obs en Italie...Elle vit à Rome