Claude Lebet est un luthier suisse. Pourtant c’est à Rome, à Campo de’ Fiori, qu’il a décidé d’installer son atelier depuis 2001. Son savoir-faire, reconnu dans le monde, fait de lui un des meilleurs fabricants de violon. En prélude à la Fête de la Musique, rencontre avec un artisan qui a fait de son métier, l’œuvre de sa vie.
Lepetitjournal.com : Pouvez-nous nous raconter votre parcours ? Comment êtes-vous devenu luthier ?
Claude Lebet : Je suis né en Suisse, d’un père suisse, pasteur calviniste
et d’une mère sicilienne. Ma mère était musicienne, elle est devenue l’organiste de mon père. Plus jeune, j’ai fait le Conservatoire, un bac latin / grec car je voulais devenir pasteur comme mon papa. A 12 ans, je suis allé avec mon petit violoncelle chez un luthier et ça a été la révélation ! Malgré l’opposition farouche de mon père, une fois mon bac passé, je suis parti en Italie, à Crémone, faire une école de lutherie. Après quatre ans d’école, j’ai obtenu mon diplôme. J’ai travaillé à Genève, à Paris, à Londres et à New-York. Puis, j’ai ouvert mon premier atelier à la Chaux-de-Fonds, la ville d’où je viens. Là, j’ai eu la chance de rencontrer les Musici di Roma, l’orchestre légendaire ! A 22 ans, je suis allé leur montrer mon premier violoncelle; ils me l’ont acheté et c’est eux qui ont commencé à me faire de la pub.
Comment fabriquez-vous un violon ? Combien de temps cela vous prend ?
Ce qui est fascinant dans ce métier, c’est que c’est un vrai travail. On va dans la forêt du Risoux (Jura) avec le bûcheron pour choisir l'arbre. Mais ce n’est qu’en hiver, à la nuit noire, qu’on le coupe. A cette période, on est sûr qu’il n’y aura pas de couche de résine. C'est le seul métier, peut être avec la vigne, où nous assistons à toutes les étapes de la fabrication, de la nature au produit final. On fait ensuite sécher le bois au moins dix ans. Depuis la coupe du bois jusqu’au vernis, nous avons un mois plein de travail. Au fur et a mesure, j’ai engagé des assistants, des apprentis, j’ai constitué une équipe. C’est très gratifiant d’apprendre à des jeunes qui ont la même expérience que moi.
Ces violons sont de véritables œuvres d’art, vous considérez-vous comme un artiste ?
Moi, je suis un vrai artisan ! Un artiste, c’est un créateur. Nous, on fait un objet manufacturé, d’après des gestes anciens. On l’adapte bien sûr à chaque fois au musicien, ce qui en fait une œuvre unique. Etre luthier c’est un vrai métier, c’est un métier qui prend ! J’ai tout sacrifié pour le devenir. Aujourd’hui, j’ai la chance d’avoir des commandes deux ou trois ans à l’avance. Toute à l’heure, j’étais au téléphone avec un soliste à qui j’avais vendu un Galliano, très beau violoncelle. Comme il ne peut pas toujours tourner avec car il est ancien et fragile, il m’a demandé de lui faire une copie exacte car il n’en trouvait pas un deuxième à sa hauteur. Donc ça, c’est un challenge incroyable! A la différence des peintres qui imitent pour apprendre, pour nous, c’est un aboutissement de faire une copie.
Quel rapport avez-vous avec la musique ? Vos compositeurs préférés ?
J’ai des périodes, comme tout le monde ! Mais Bach reste un des mes auteurs favoris, à cause de mon éducation protestante mais aussi car c’est le musicien par excellence ! En ce moment, je suis beaucoup dans les romantiques comme Schumann ou Schubert. J’aime beaucoup le piano. J’en joue aussi mais mon instrument, c’est le violon !
Parmi vos clients, lesquels vous ont le plus marqué ?
Deux violoncellistes m’ont marqué profondément par leurs conseils et leur côté paternel : Paul Tortelier et Dimitry Marchevitch. Ce sont des personnes très ouvertes. J’ai beaucoup appris avec des grands instrumentistes autant qu’avec des maîtres comme Morassi à Crémone, Etienne Vatelot à Paris et Jacques Français à New-York.
Vous êtes suisse, reconnus pour votre savoir-faire partout dans le monde; alors pourquoi avoir choisi Rome pour installer votre atelier ?
Et bien quand j’ai rencontré les Musici di Roma, ils m’ont emmené avec eux dans la Ville Eternelle. J’avais le choix d’ouvrir mon atelier à la Chaux-de-Fonds ou à Rome et sincèrement, il n’y avait pas photo… Cette ville est un choix de cœur. Je suis moi même un Italien de cœur. J’aime la lumière, l’ambiance qui règne dans cette ville avec tous les artisans. Je me retrouve au XVIIIe siècle. Siècle des grandes idées, des grands chefs-d’œuvre.
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