A l’occasion de son dernier ouvrage en français sur l’Italie, publié en février dernier chez Armand Colin, intitulé Sacrés Italiens !, la rédaction a interviewé Alberto Toscano, le plus français des journalistes italiens. Chapitre après chapitre, prenant le prétexte de banalités ou d’aspects historiques, il fait sauter les clichés les uns après les autres. Rencontre avec un acteur de l’amitié franco-italienne.
Lepetitjournal.com : Vous vous présentez à la fois Italien et Européen. Vous avez reçu le prix de journalisme de la Maison de l'Europe de Paris et du Parlement européen. Quel regard portez-vous sur la place de l’Italie en Europe ?
Alberto Toscano : L’Italie a été une grande bénéficiaire de l’Europe. Les Italiens lui en sont reconnaissants, malgré quelques maladresses technocratiques. Ces dernières années, l’Union européenne a été sévère avec l’Italie. Mais la majorité des Italiens ont un rapport presque sentimental avec l’Union européenne. Car au fond de leur cœur, elle représente une alternative.
Géographiquement, la péninsule italienne peut se décrocher de l’Europe, et dériver vers l’Afrique, ou s’accrocher à l’Europe. Une géographie qui traduit un processus d’intégration vers la modernité, ou vers d’autres cultures. En France comme en Italie, les Européens ont envie de tourner la page de la crise. C’est un défi pour la crédibilité des institutions européennes. C’est à dire sortir de la logistique et des sacrifices qui ont été nécessaires pour les Italiens, les Espagnols, les Français et les Grecs bien sûr.
En quoi, selon vous, le fait que l’Italie prenne la présidence de l’Union européenne à compter du 1er juillet puisse jouer ?
La Présidence doit aller vers la direction de la relance des investissements en s’appuyant sur les ressources existantes comme la Banque Européenne des Investissements. Il faut une politique de grands projets ; et l’Italie peut parrainer ce type de proposition. Mais on ne peut pas se cacher une réalité : la corruption dans les grands travaux.
Le pari européen peut se gagner seulement si l’Italie change elle même. L’Europe est une raison importante pour faire le ménage. Une raison de plus pour tourner la page.
L’Expo 2015 ouvrira ses portes le 1er mai 2015. L’Italie est en marche. Trop lentement pour certains. Qu’apportera selon vous l’exposition universelle à l’Italie sur un plan économique ?
L’exposition universelle nécessite des investissements considérables. Elle portera des millions de personnes à visiter Milan et le nord de l’Italie. C’est une occasion extraordinaire pour l’Italie de se montrer…encore faut-il qu’elle se déroule de façon digne ! Quand on monte sur scène, on peut montrer le meilleur de soi, mais aussi le pire. Il ne faudrait pas que l’occasion se transforme en un effet de boomerang.
Le pari n’est pas gagné. Il faut déjà terminer les travaux. Les opérateurs économiques doivent être confrontés à une réalité qui marche. Si le Japon voit la capacité de l’Italie à s’organiser, alors une entreprise japonaise pourra envisager de s’implanter en Italie. Les Italiens peuvent gagner; mais c’est un optimisme énervé. Les Italiens ont l’insupportable habitude de se ressaisir à la dernière minute quand ils sont proches du précipice, comme cela été le cas en 2011.
Votre ouvrage apporte des clés de lecture sur la politique italienne et sur la relation des Italiens à la politique. Pensez-vous que Renzi sera à même de faire aimer l’Etat aux Italiens ?
Je suis très favorable à l’expérience Renzi. Il faudra évidemment le juger. Ceux qui l’ont condamné se comportent comme des inconscients. Renzi exprime la capacité, l’espoir, la modernisation. Il échouera peut-être. Mais s’il échoue, c’est l’Italie qui tombe. Renzi est la dernière chance pour les Italiens car l’Italie est fragile malgré la fin de la récession. En France, les institutions sont fortes. Beaucoup d’Italiens perçoivent la nécessité des réformes. Cette opportunité est fondamentale pour l’Italie. Ce n’est pas une opportunité comme les autres. C’est un moment particulier pour l’Italie. S’il gagne, les conséquences seront historiques. Si il échoue, les conséquences seront aussi historiques.
Vous vivez en France depuis 1986. Vous dédiez dans votre ouvrage un chapitre à l’émigration. Pensez-vous que l’Italie vive actuellement une nouvelle phase d’émigration ? Quelles en sont les conséquences ?
Je ne pense pas à une phase structurelle d’émigration pour l’Italie. Nous sommes dans une phase où les pays s’ouvrent les uns aux autres. Passer d’un pays européen à l’autre est naturel. L’Union européenne à 19 n’est pas toute l’Union européenne. Il y a l’Europe de la zone Euro et le reste de l’Europe. Au sein de la zone euro, les personnes peuvent travailler et étudier d’un pays à l’autre, passer leur retraite dans un pays différent de celui où ils ont travaillé. Le système est beaucoup plus compact. Faire un discours d’émigration entre pays de la zone euro n’a pas de sens. La vraie dynamique d’Erasmus confirme le processus d’intégration. Les jeunes générations sont habituées et on voit de plus en plus de couples mixtes.
La conjoncture économique n'arrange pas, mais pour aller aux États-Unis, il faut la Green Card, et donc en dehors de l’Europe, ce n’est pas si facile.
1969-2014 : 45 ans de la Strage della Piazza Fontana. Que diriez-vous à un italien quadragénaire ?
Le terrorisme italien est une période spécialement tragique de l’histoire du pays. En vivant en France, j’ai perçu des tentatives de faire porter aux "Brigades Rouges" des lettres de noblesse. J’ai été insulté au moment de l’affaire Battisti…
Je lui dirais de ne pas banaliser l’importance de ce qu’il a ; c’est à dire un pays démocratique où des personnes ont été tuées car elles avaient une opinion différente. Et je dirais…Attention ça peut revenir demain.
La dignité et la démocratie sont un patrimoine. Nous devons travailler à le renforcer. Pas à l’affaiblir. Ce qui veut dire aussi avoir des idées progressistes et ne pas avoir peur de faire confiance.
En tant que journaliste, vous avez collaboré à de nombreux titres d’abord italiens, puis français. Quel regard portez-vous sur le journalisme en France et en Italie ?
Le journalisme traverse une crise, en général. Le chômage, certes mais surtout un phénomène de mise à l’écart d’une génération de journalismes (58/65 ans) remplacés par des jeunes de 25/30 ans qui n’ont pas l’expérience. Pour la première fois, il est impossible de transmettre le savoir d’une génération à l’autre. C’est une réelle rupture générationnelle.
Le journalisme en France est en crise d’identité. Essentiellement les grands journaux nationaux. En Italie, Il Corriere della Sera, La Repubblica, 24Ore sont plus solides, mais en France, la presse régionale s’en sort mieux qu’en Italie.
Par ailleurs, la radio est plus importante en France, qu’en Italie. On a presque une relation de fidélité en France alors qu’en Italie, tout est écrasé par la télévision.
Vous êtes auteur d’une quinzaine de livres dont la plupart écrit sur l’Italie. Avec quelle intention avez-vous écrit Sacrés Italiens !
J’ai en effet écrit 5 livres en français sur l’Italie. Sacrés Italiens est une provocation surréaliste : "Ca sert à quoi un Italien?". Mais c’est surtout une lettre d’amour à mes deux pays. L’Italie est un pays extrêmement compliqué. On croit pourvoir dire des banalités déconcertantes mais l’Italie est ni blanche ni noire. C’est une tonalité de gris. J’ai voulu apporter des éléments de réponse sur cette complexité italienne.
source: LePetitJournal.com