Un climat eurosceptique règne sur l’Italie, alors que l’Europe toute entière est appelée à renouveler son Parlement ce dimanche 25 mai. Dans une Italie qui peine à sortir de la crise économique, l’Europe apparaît comme le coupable idéal pour certains et incompréhensible ou trop loin de la réalité pour d’autres. Que pensent alors les Italiens de l’Europe ? Nous leur avons posé la question.
Le contexte
Malgré l'importance des élections européennes, seulement 41% des Italiens se disent confiants en l'Europe, contre 51% en 2000 (sondage Institut Demopolis, réalisé entre le 12 et le 14 avril 2014).
En Italie, le fameux MoVimento 5 Stelle de Beppe Grillo grimpe dans les sondages. Les derniers chiffres l'annoncent à 30 % d'intentions de vote. Sa force de frappe ? Surfer sur le désamour des partis traditionnels et des politiciens dits "véreux". Un discours qui fait mouche dans une Italie où les fraudes ou malversations font régulièrement les unes de la presse. Mais c’est le rejet des institutions européennes, source de tous les maux du pays, qui reste le leitmotiv du parti.
Le M5S est cependant face à un adversaire de taille. Matteo Renzi, le jeune Premier ministre du Partito demacratico, se bat avec force pour démontrer que l’avenir de l’Italie, c’est l’Europe. A un peu plus de 30% dans les sondages, le Pd est cependant en recul. Cette dernière semaine lui sera décisive.
Le troisième parti dans cette course au Parlement européen est Forza Italia, crédité d’à peine 20 % des intentions de votes. Pour cause de démêlés avec la justice, Silvio Berlusconi ne se présente pas directement mais il reste le leader incontesté du parti.
"On est d’abord italien et bien après européen"
Les élections européennes sont loin de passionner les Italiens. Les disparités internes à l'Italie font passer les actions de Bruxelles en second plan. "En Italie, les gens attendent en premier lieu du changement chez eux. C'est d'ailleurs sûrement pour cela que des personnalités comme Beppe Grillo ameutent tant de foule. Les Italiens ne s'intéressent pas à ses élections. Ce que l'on veut c'est du changement ici. Notamment du travail pour les jeunes" note Gianluigi, 20 ans, étudiant en médecine. Il regrette ainsi que les préoccupations des jeunes soient loin de celles des politiciens.
Maria-Luisa, 77 ans, psychologue, défend avec ferveur l'importance de ses élections "Ces élections sont très importantes ! D'une part, c'est un pas en avant pour la croissance de l'Europe, afin qu'elle devienne une Europe forte. D'autre part, cela va permettre aussi de vérifier quel parti politique est le plus soutenu en Italie. Ces élections sont une sorte de "réflexion" sur les politiques internes des différents pays d'Europe. J'espère vraiment que les gens iront voter. S'il y a trop d'abstention, le résultat de ce vote ne sera pas le miroir de ce que pensent les Italiens, mais seulement le résultat d'un manque de confiance en leurs politiciens." Une analyse qui en dit long sur le sentiment des Italiens à propos de l’Europe.
Certains iront voter, mais ont tout de même bien du mal à croire en une Europe forte et solidaire. "D'après moi il reste un problème évident : celui de la structure. L'Europe, c'est un regroupement de pays qui a chacun une histoire forte, des traditions bien ancrées, des us et coutumes bien à soi. Alors devenir européen ça me semble compliqué. Ici, on est d'abord Italien et bien après Européen" affirme Roberto, 63 ans, cadre ingénieur.
"Il y a un autre problème dans cette Europe, on est mal informé ! C'est un point qui montre bien que l'Europe n'est pas assez mature. Et il est vrai que pour le peu que l'on en sait, nous n'en sommes pas contents" s’agace Maria-Luisa, en riant.
"Les jeunes italiens n’ont pas confiance en leurs politiciens"
Andrea, 30 ans, journaliste et bloggeur soulève à son tour le problème de la représentativité. "Beaucoup de choses sont faites par le Parlement européen. Mais je pense que cette instance n'a pas assez de poids car la Commission et le Conseil à l'inverse, en ont trop. Et pourtant, c'est celle qui devrait en avoir le plus, c'est la seule instance en partie élue par le peuple" note-t-il. Andrea ira voter, car pour lui, "ne pas aller voter serait un échec. Si on laisse les autres choisir à notre place, il ne faut pas se plaindre après !" s'exclame t-il. Mais il exprime tout de même certains doutes sur le rôle du Parlement européen.
Gianluigi, notre étudiant en médecine lui, n'a que faire de ces élections. Il n'ira pas voter. Probablement comme beaucoup de jeunes d'ailleurs qui, paradoxalement se désintéressent de l’idée européenne. "Honnêtement, comme beaucoup je n'irai pas voter. Mes préoccupations sont toutes autres : réussir mes études, et surtout trouver un emploi. Vous savez, les jeunes Italiens n'ont pas confiance en leurs politiciens. Quand vous apprenez qu'après son divorce, Berlusconi verse 300.000 euros à son ex-femme par mois pour "se nourrir", ça semble irréel. Comment peuvent-ils brasser tant d'argent, quand nous on galère à trouver juste un emploi d'étudiant pour arrondir les fins de mois ? Si nous n'avons pas confiance en nos propres politiciens italiens, comment faire confiance à ceux qui sont à Bruxelles ?" déclare-t-il résigné.
"Nous sommes un peuple de brebis anarchistes"
Les ainés votent avec confiance, ou pas. Les jeunes semblent désertés les bureaux de vote. Mais chacun a un avis sur les futurs vainqueurs. Gianluigi se sent plus proche du Partito democratico du Premier ministre "Il se rapproche le plus de mes idéaux" déclare-t-il. Maria-Luisa abonde dans le sens du jeune homme : "Le Pd de Renzi est un vote qui véhicule plus de sagesse d'après-moi".
Seul Roberto semble un peu perdu sur le sujet. Les batailles médiatiques de ces dernières semaines ne l’ont guère aidé dans son choix. "Honnêtement, je n'en ai encore aucune idée. Les dernières élections c'était 1/3 pour Berlusconi, 1/3 pour Grillo, et 1/3 pour la gauche. Les Italiens changent d'avis très souvent" dit-il. Pour illustrer ses propos, il y va de sa petite histoire : "Dans l'ancien temps, à Florence, il y avait deux partis : les Guelfi, qui supportaient l'empereur, et les Ghibellini qui supportaient l'Eglise. Et de là est née une expression italienne qui dit "Guelfo sono, Ghibellino m'appello chi mi da da mangiare vede da quello" (Je suis Guelfi, mais je m'appelle Ghibellino pour celui qui me donne à manger, je vais de son côté, ndlr). Les Italiens c'est un peu ça. Nous sommes un peuple de brebis anarchistes. On suit le mouvement mais on peut aussi changer d'opinion du jour au lendemain si un parti nous apporte plus qu'un autre" déclare le sexagénaire avec humour.
Les positions divergent. Les avis fusent. Parfois positifs, négatifs, tranchés, pleins d'espoir. Mais une chose est sûre, cette élection passionne peu. A deux jours de la fin de la campagne, un sursaut est-il envisageable ? Réponse dimanche dans les urnes.
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