Travailler ou élever ses enfants ? Les Italiens et surtout les Italiennes ont accepté de partager leurs points de vue sur ce thème qui fait toujours couler beaucoup d'encre : la place de la femme dans la société. Un voyage dans le cocon familial de celles qui, loin d'être frustrées par leur rôle de mère, aimeraient tout de même un peu d'aide, pas tant des hommes que de l'Etat.
Au revoir carrière, bonjour temps-partiel
"Je m'appelle Chiara, j'ai un mari, deux enfants, un boulot qui me plaît, une maison, quelle est mon activité principale ? Courir. Je cours pour être une bonne mère, une bonne épouse et une personne sur laquelle on peut compter au travail (...). Je cours sans cesse mais je n'arrive jamais à tout faire. (...) Ce qui fait de moi une maman pas tout à fait parfaite". Le 9 septembre dernier, la série devenue culte Una mamma imperfetta (Une mère imparfaite) s'est ouverte sur ces quelques phrases, simples mais incisives, récitées par la protagoniste interprétée par Lucia Mascino. Désormais, tous les soirs sur Rai 2, huit minutes suffisent pour raconter, avec humour, les déboires d'une madre di famiglia moderne qui cherche à tout conjuguer sans pour autant s'oublier.
Rita, 31 ans, pensait qu'elle pouvait être partout à la fois. Top manager dans une multinationale dont elle ne veut pas citer le nom, elle voyait enfin sa carrière décoller. Entre clients importants et voyages d'affaires à l'étranger, arrive l'envie de devenir mère. "J'avais très peur de m'arrêter et qu'à mon retour tout ait changé mais mes supérieurs m'ont assuré que ça ne serait pas le cas" affirme la trentenaire. Une promesse qui a été respectée. Pourtant quand elle revient à son poste, après son accouchement, rien n'est comme avant : "Rythmes de travail frénétiques, horaires inhumains, tout ce à quoi j'étais habituée est devenu invivable. J'ai fini par démissionner".
Selon le classement Global gender gap 2012 réalisé par le World economics forum, en Italie, moins d’une femme sur deux (47%) a une activité professionnelle, soit onze points de moins que la moyenne européenne (58%). Pour concilier vie professionnelle et vie privée, elles sont prêtes à accepter des contrats précaires et peu avantageux. Elles représentent environ 80% des travailleurs à temps partiel.
Quand la famille comble les carences de l'Etat Providence
D'une manière ou d'une autre, dans le monde du travail, les mères se sentent toujours poussées vers la sortie. Enceinte de sept mois, assise tant bien que mal sur un petit banc du parc Via Sabotino à Rome, Maura ne semble pas vivre sa troisième grossesse de manière épanouie. Conseillère médicale, à 40 ans, elle a choisi le statut d'auto-entrepreneur : "L'avantage, c'est la flexibilité, le revers de la médaille, la précarité. Tout dépend des contributions que j'ai versé à l'Etat mais au final, si je m'arrête, même enceinte, je ne gagnerais jamais assez pour survivre avec trois enfants".
Quand son amie Barbara, mère de deux petits de cinq ans et neuf ans, la rejoint, le ton change : "Avec un contrat à durée indéterminée, dans mon cas tout a été plus facile" témoigne la nouvelle arrivée. "En revanche, quand j'ai repris le travail, impossible de trouver une crèche libre pour y laisser mon ainé", continue la femme qui depuis s'est arrangée avec sa mère, elle aussi, résidente à Rome.
Avoir une place pour sa tendre progéniture au fameux Asilo Nido (crèche) relève toujours du parcours du combattant. "Pour le premier enfant, il ne faut pas compter dessus. Heureusement, le numéro trois a toutes ses chances d'y entrer" relève Maura soulagée. Face à l'absence d'institutions aptes à aider les mères à tout concilier, c'est la famille qui prend le relais. Alessandro Intini, qui jouera le rôle du baby-sitter gay dans la deuxième saison de la série Une mamma imperfetta, le sait : "Grands-parents, oncles, tantes... Le soutien de la 'sacra famiglia' est devenu indispensable pour s'organiser entre 'lavoro e figli'".
Où sont les hommes ?
Pour Alessandro, jeune acteur de 32 ans, vu la situation économique de la Botte, une femme "ne peut se permettre de quitter son emploi pour élever ses enfants". Avec l'augmentation de la pression fiscale et la diminution du pouvoir d'achat des ménages, il reste réaliste et ajoute : "Un deuxième salaire compte tellement pour maintenir une famille". Ce beau brun qui a grandi sous le soleil des Pouilles n'a pas d'enfant mais s'il devait sauter le pas, jamais il ne cesserait de monter sur scène pour devenir père au foyer. Au contraire, si un jour il rencontre la femme de sa vie, il ne verrait aucun inconvénient à ce qu'elle cesse de travailler. "Dans un couple, si les moyens le permettent, chacun doit pouvoir choisir sans frustrations", confie-t-il derrière un sourire ravageur.
Autre génération, Augusto, 68 ans, gynécologue à la retraite, ne voit pas la distribution des rôles du même œil. "J'ai toujours tenu à ce que ma femme reste à la maison pour assurer l'éducation des enfants" explique-t-il. En recoiffant ses cheveux blancs d'une main experte, il explique sa position : "Mes revenus nous permettaient de bien vivre. Je n'aurais pas compris qu'elle dépense son salaire pour rémunérer une baby-sitter".
Emancipation oubliée, réalisation professionnelle bafouée, une fois mère, la femme devenait Madonne. Un fait culturel qui explique peut-être pourquoi les Italiens ont attendu 2013 et la réforme de la ministre du Travail, Elsa Fornero, pour voir arriver les congés paternités, les vouchers baby-sitting et l'interdiction des "dimissioni in bianco" pour protéger les femmes enceintes de licenciements abusifs.
source: Lepetitjournal.com