Alain porte avec fierté l’uniforme aux couleurs vives de ceux qui protègent les portes du Vatican depuis la construction de la basilique Saint Pierre.
A travers son témoignage on comprend mieux le mystère d’une carrière militaire peu commune: celle des Gardes Suisses.
Pour quelles raisons avez-vous choisi d’endosser l’uniforme de la Garde pontificale?
Alain M. : Je suis venu à Rome il y a plus de dix ans pour ma première communion et j’ai découvert cette lumière qui tombe sur la ville éternelle. Dès mon retour, j’ai dit à ma mère que je voulais être garde suisse quand je serai grand. J’ai grandi à Genève où j’ai passé ma maturité [équivalent du Bac, Ndlr] avant d’accomplir mon service militaire, obligatoire pendant six mois pour les hommes de notre pays. Je me suis engagé aussitôt auprès de la garde vaticane, cela fera cinq ans l’année prochaine.
Pour entrer dans la garde pontificale, Il faut mesurer 1m74, avoir entre 19 et 29 ans, être suisse, célibataire et avoir un certificat fédéral d’études. Certes, le baptême et la confirmation sont également demandés pour rejoindre les rangs de l’armée la plus ancienne et la plus petite encore active dans le monde, mais une foi véritable est simplement nécessaire. Personne ne peut tenir deux ans au service du Pape sans une religiosité profonde et solide.
Quels souvenirs avez-vous de vos premiers jours au Vatican?
Les premiers jours sont incroyables. Comme nous tous, j’avais déjà connu l’armée et l’esprit d’équipe, mais ici j’étais immergé dans le cadre magnifique de Rome. C’est vrai, l’éloignement est difficile, certains d’entre nous ont seulement 19 ans. J’ai appris à me conduire et me tenir, à marcher au pas, à endosser l’uniforme -à avoir chaud dedans-, à suivre une formation sportive continue. J’ai été plongé au bout d’un mois dans le quotidien d’un vrai garde suisse en attendant l’assermentation qui a lieu tous les ans le 6 mai.
Assez vite, on retrouve la force de la communauté suisse et de ses particularités au sein de la caserne. Chacun d’entre nous parle français, allemand et italien, on se retrouve chez soi, on partage des fondues à table! Paradoxalement, c’est là qu’on prend conscience de la richesse et de l’unité de notre petit Etat culturellement fragmenté. Les camarades de la garde sont plus que des amis, ce sont des frères, des cousins et des oncles. La solidarité, sans aucune rivalité, nous lie face à n’importe quelle épreuve comme un seul bloc.
Comment se passe la cérémonie d’assermentation?
L’assermentation est l’un des seuls cas où la Bible nous autorise à “jurer”. Cependant nous ne jurons pas sur le nom d’un homme, mais sur la fonction papale, debout pendant de longues minutes dans une armure extrêmement lourde. On promet un engagement de deux ans minimum. Je fais partie de ceux qui ont décidé de le prolonger pour cinq ans, mais une minorité d’entre nous s’engage pour monter en grade jusqu’à capitaine. On peut être garde suisse 25 ans maximum. Il est possible d’avoir sa retraite à 45 ans quand on l’est de métier! A partir du grade de caporal, on peut obtenir un appartement de fonction et de se marier.
En quoi consiste votre quotidien?
En l’absence d’événement particulier, je travaille huit heures par jour à différents endroits au Vatican, devant la résidence du pape et devant les portes. La pose et le poste changent en fonction de l’ancienneté. Ainsi, les jeunes gardes doivent rester plus de quatre heures sans bouger ni parler. Les plus anciens sont autorisés à renseigner les touristes, rétablir l’ordre lorsque c’est nécessaire et changer de vue plus régulièrement dans la journée. Quand nous sommes de repos, nous buvons des bières entre amis et nous assistons à la messe chaque dimanche.
Comment avez-vous vécu les événements qui ont secoué le Vatican en février dernier?
Les premiers jours après la renonciation de Benoît XVI ont été tristes et indécis. Cependant nous ne sommes pas formés pour nous attacher à quelqu’un et protéger un nom, mais une fonction. Rien n’a donc changé pour nous, si ce n’est le fait que nous avons été extrêmement mobilisés ces derniers mois. Après le Conclave, l’arrivée du pape François qui est particulièrement dynamique nous a demandé d’autant plus de déplacements. J’admire beaucoup cet homme très proche du peuple et très accessible. J’avoue que je suis finalement heureux d’avoir pu assumer la cinquième fonction du garde suisse: assurer la transition papale. J’ai quand même eu le sentiment d’avoir vécu un événement historique!
Quels rapports entretenez-vous avec le personnel du Vatican?
En vérité, le personnel du Vatican est composé de 3000 personnes, toutes professions confondues : électriciens, mécaniciens, jardiniers, hôteliers, forces de l’ordre etc. Je suis obligé de connaître et de savoir identifier les personnes les plus importantes, parmi le clergé aussi. Un exercice de physionomie doit être validé à chacun des quatre examens qui constituent ma formation, afin de les saluer correctement et de reconnaître les personnes en cas de nécessité. Mais les Suisses gardent le Vatican depuis 1506 pour une excellente raison: ils ne sont pas d’ici, entendent un Italien qui n’est pas toujours leur langue maternelle et sont extérieurs aux intérêts du pays. En plus d’avoir promis au siège pontifical la protection, aucun d’entre nous n’a l’envie ni l’intérêt de s’infiltrer dans des discussions privées qui ne nous concernent pas.
Que pensez-vous faire après vos cinq ans de service?
J’envisage d’entamer des études de lettres, probablement plus en Suisse qu’en Italie. Je ne sais pas encore à quoi elles me mèneront à long terme. Souvent les anciens deviennent gendarmes, travaillent dans l’armée ou pour la Confédération suisse – le gouvernement. Certains recruteurs prennent en compte positivement le fait que nous ayons vécu une expérience incroyable que l’on a rarement la chance d’effectuer avant nos études.
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