Floriana Intermédiaire - Intermedio
Messages : 14 Date d'inscription : 21/03/2012 Age : 71 Localisation : Marseille Humeur : Excellente
| Sujet: Coup de coeur pour Canale Mussolini d'Antonio Pennacchi Dim 15 Juil - 22:00 | |
| Ami-e-s italien-ne-s du monde,
Je voudrais partager avec vous un coup de cœur pour le livre d'Antonio Pennacchi, Canale Mussolini (Canal Mussolini en français), paru cette année aux éditions Liana Levi et récompensé en Italie par l'attribution du prix « Stréga » en 2010.
L'édition de ce gros volume (494 p) fait débat en Italie si l'on en croit les pages de la toile consultéés. On le comprend aisément puisque ce roman raconte l'Italie fasciste « de l'intérieur, » à travers l'histoire d'une famille de métayers ferrarais miséreux partis coloniser les marais pontins asséchés par les ingénieurs du régime fasciste.
Plus que la « saga familiale » relevée par les critiques français notamment, l'historienne que je suis a retenu la masse documentaire extraordinaire que rassemble cet ouvrage. Des descriptions minutieuses des travaux des champs, de l'organisation de la vie quotidienne sous ses aspects matériels présentent quasiment un intérêt anthropologique. Le long développement relatif aux techniques d'assèchement des marais pontins est absolument passionnant en lui même : il montre bien l'ingéniosité déployée par l'homme (avec un tout petit h) pour s'accommoder d'un environnement naturel particulièrement hostile. L'on regrettera, pour notre part (mais notre curiosité est insatiable !!!), que les projets d'urbanisme des villes fascistes rasées par les bombardements, n'aient pas été plus précisément étudiés dans la mesure où ces villes sont présentées comme des modèles. Mais c'est là un détail !
Un autre des mérites de ce livre est de montrer au public français l'importance de la question coloniale regardée du point de vue des paysans sans terre. Une importance capitale dont tous ceux et celles qui se sont intéressés à l'histoire des migrations ne peuvent douter. Par ailleurs, la question du « retournement » italien et de la résistance des fascistes (y compris au Sud et non seulement dans la République de Salo') y est aussi largement traitée et donne l'envie de se plonger dans un livre d'histoire italien pour confronter ce point de vue historiographique (celui de la vision des vaincus) avec les résultats des études des historiens italiens.
Antonio Pennacchi, qui réussit à nous faire rire au milieu de ce déluge de désastres variés et multiples, éprouve de l'empathie pour ses personnages et ce sentiment a, paraît-il, fait grincer la critique italienne. On le comprend mais il n'est pas certain que le lecteur partage la bienveillance de l'auteur à l'égard de personnages qui apparaissent, au mieux, comme des anti-héros. Car les Peruzzi sont présentés comme des brutes incultes, épaisses et sanguinaires qui cognent aveuglément partout où on les dépêche. Ils sont sottement, quoique avec application, les fidèles artisans de leur ruine jusqu'à l'ultime moment, bien après que tout est déjà perdu.
Sur la plan formel, la traduction française fait débat en France. Il n'était pas facile de traduire le dialecte vénitien et la traductrice, Nathalie Bauer, explique ses choix dans une postface très utile. On les comprend mais le résultat s'avère lourd en français. L'on sait que les romans mâtinés de dialecte sont aujourd'hui à la mode en Italie et remportent un grand succès, y compris à l'étranger. Mais la traduction de « Canale Mussolini » n'emprunte rien aux charmes des traductions d'un Camilleri, par exemple. Reste la forme du récit, caractéristique des « filo' » du Nord de l'Italie, une tradition orale très ancienne selon laquelle le récit est sans cesse interrompu par des digressions puis repris et poursuivi. Si le lecteur français veut bien renoncer pour quelques heures à son cartésianisme sacro-saint, il pourra s'amuser des tournures colorées, familières et drôles qui émaillent le récit.
L'on ne dévoilera pas la trame romanesque développée sur le Site wikipedia italien même si elle nous paraît finalement secondaire.
Oui, il faut lire « Canale Mussolini » parce que c'est un livre d'une lecture passionnante.
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