Depuis l’apparition de "Grande Fratello" en 2000, les Italiens n’ont eu cesse de montrer leur goût pour les programmes de téléréalité. Entre vulgarité et hypocrisie, retour sur un phénomène en perte de vitesse aujourd’hui
Grande Fratello et l’apparition de la téléréalité en Italie
La télévision occupe une place importante dans la construction de l’unité italienne. Pendant longtemps, cette dernière s’est inscrite dans une logique pédagogique. Elle avait pour mission de créer un sentiment national et de représenter toute la société. Circule d’ailleurs une blague, selon laquelle l’unité linguistique du pays n’aurait pas été faite par Garibaldi mais par Mike Bongiorno, présentateur télé des années 60 à 80 : "L’unità d’Italia non l’ha fatta Garibaldi, ma l’ha fatta Mike Bongiorno".
Les premières émissions de la téléréalité italienne se situent dans la même logique. Le premier programme du genre, toujours diffusé, a vu le jour en 2000 sur Mediaset. Intitulé "Grande Fratello", est l’adaptation directe de l’américain "Big Brother". Comme l’explique Matteo, étudiant et âgé d’une dizaine d’années à l’époque de la première édition, "Grande Fratello était au départ très intéressant sociologiquement. Des profils très divers étaient représentés : on trouvait des candidats de l’Italie toute entière, géographiquement et socialement parlant".
D’autres programmes ont ensuite enrichi le panel des émissions. De 2004 à 2006, sur Italia1, "Campioni" proposait de suivre la vie d’une équipe de football. Depuis 2001, sur La5, "Amici", Star Academy italienne, offre la possibilité aux jeunes Italiens de tenter leur chance dans le monde de la danse et de la musique.
Les premiers programmes de téléréalité étaient donc, au départ, assez classiques. Tout en promettant aux candidats avenir en or, ils véhiculaient l’idée que tout le monde pouvait passer à la télé et devenir célèbre.
Vulgarité et hypocrisie
De plus en plus, la téléréalité se fait remarquer par sa vulgarité et son hypocrisie. Si chaque jour "Grande Fratello" offre à la vue des téléspectateurs des femmes sans cesse plus dénudées, lors de la dernière édition, ces derniers ont pourtant décidé d’éliminer une candidate car elle était stripteaseuse en dehors du jeu. D’autres se souviendront du départ forcé d’un candidat qui avait osé prononcer un blasphème.
Les concepteurs et producteurs déclarent en effet devoir respecter la "Fascia protteta". Ce code d’autoréglementation, signé par la Rai, Mediaset, Tmc et Frt, prohibe entre 7h00 et 22h00, les scènes jugées crues et les films pour adultes ou interdits aux moins de 14 ans.
Mais, si les producteurs condamnent publiquement la nudité, ils ont bien compris qu’elle fait vendre. En témoigne "L’isola dei famosi". Le programme, réunissant sur une île déserte des célébrités confrontées à des épreuves physiques, est en réalité un prétexte pour admirer les corps des candidates : et faire exploser les audiences (vidéo).
Quelles limites ?
Depuis quelques années, "Grande Fratello" connait une baisse d’audience, comme l’explique un article du site Arezzo Polis. Les téléspectateurs commenceraient à se lasser d’une émission de plus en plus vulgaire et atteinte par les scandales. En 2010, le public s’était indigné de voir apparaître le fils du bandit Matteo Ferdinando Giordano. Une perte d’aura aussi causée par la longueur excessive de l’émission, passée de 99 jours à 161, quand Loft Story, en France, durait 70 jours. L’émission qui continue en revanche à enregistrer des bons scores est d’ailleurs celle qui se moque des candidats: "Mai dire Grande Fratello".
Confrontée à cette baisse de succès, la téléréalité propose donc des programmes qui vont sans cesse plus loin. En 2011, Mediaset avait lancé un nouveau concept, "Il contratto". L’idée, sujette aux polémiques, était de mettre en concurrence trois candidats pour obtenir un contrat de travail. Antonio Lombardi, président de l’association "Alleanza lavoro", avait déclaré: "On est arrivé au fond. Cela veut dire qu’on doit passer par la télévision pour parler du travail? C’est un sujet bien trop sérieux". Le directeur de La7, Marco Ghigliani, avait bien sûr tenté de se justifier : "Ce n’est pas un show. Nous ne mettons pas en jeu les contrats de travail. Nous suivons juste le parcours de candidats qu’une entreprise doit choisir". Mais, face à une audience plutôt tiède, l’émission n’a pas été reconduite.
Enfin, que penser de l’émission de Cielo TV, "Il principiante, il lavoro nobilita"? Le programme met en scène le prince Emanuele Filiberto qui a décidé de se fondre dans la peau d’un italien moyen et de "découvrir à quoi ressemble la vraie vie", ce qui rappelle sans aucun doute une autre émission française, "Vis ma vie".
Comme le confirme Matteo, ces différents programmes de téléréalité témoignent donc du "déclin du système de production et de diffusion de la Culture du pays". Mais, cette faible qualité des programmes n’est pas propre à l’Italie. La télévision française, malgré l’existence de certains programmes plus culturels, a son lot de téléréalité. De "Grande Fratello" à "Loft Story", aujourd’hui transformé en Secret Story, les téléspectateurs italiens et français ont décidément beaucoup en commun.
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