La Cosa Nostra est certainement la mafia la plus secrète et la plus mystérieuse d’Italie. Elle est aussi celle qui brave le pouvoir et les générations en se renouvelant sans difficulté. Entrer dans l’univers de la Cosa Nostra, c’est découvrir un clan fraternel régit par un code d’honneur puissant et très restrictif qui frappe toute la Sicile et plus encore

La Sicile n’est pas un lieu comme les autres en Italie. Depuis 1948, elle dispose d’une autonomie entérinée dans ses statuts bien qu’elle fasse partie intégrante du pays. Cette différence se cultive par ses particularités géographiques, économiques mais aussi politiques qu’un fort courant indépendantiste ne fait que renforcer. L’île est un carrefour culturel et cultive ses différences avec le reste de l’Italie. Les cultures normandes, byzantines et musulmanes s’y mêlent dans un contexte différent du Continent. Malgré la richesse de son agriculture, sa population a toujours été pauvre et a toujours très mal supporté un pouvoir extérieur. Pendant l’occupation espagnole, les grands terriens qui possédaient les Latifundi (grandes exploitations agricoles) ne laissaient que très peu de richesses à la population. Toujours en marge de l’autorité de l’Etat, la Sicile n’apprécie guère les prérogatives gouvernementales qui l’ont souvent laissées à l’abandon dès l’unification en 1861. C’est peut être pour cette raison que la mafia n’a eu aucun mal à s’y implanter et à s’y développer. Le pouvoir vaquant d’une Rome trop éloignée pour s’imposer ainsi que l’ouverture sur le monde et les richesses de sa terre faisait de la Sicile un fief très accessible pour une organisation bien huilée. C’est ce qu’a facilement réalisé la Cosa Nostra, (notre chose en français). Si la mafia napolitaine (la Camorra) ou celle de Calabre (la N’drangheta) sont des réseaux très vite connus en Italie, il aura fallu attendre les années 1980 pour découvrir l’organisation de la mafia sicilienne.

La collaboration avec le pouvoir en place

La Cosa Nostra s’est imposée au XIXème siècle après le départ des Bourbons espagnols. L’origine n’est pas très claire et aucun consensus n’a encore été trouvé sur ce point. Cependant, de nombreuses sources indiquent qu’elle aurait suppléée les grands propriétaires espagnols pour assurer la sécurité dans les domaines agricoles. Elle a ensuite toujours su collaborer parfaitement avec le pouvoir. Dans sa conquête de l’opinion italienne en 1860, Garibaldi s’est très vite rendu compte que la Sicile était une région à part. Il fit donc immédiatement le choix de collaborer avec la mafia sicilienne pour s’attirer la sympathie du peuple. Réprimée sous le fascisme, la mafia revient à l’ordre du jour quand les américains projettent de débarquer en Sicile. Les mafieux italiens exilés aux Etats-Unis se voient donc proposer une collaboration avec le gouvernement américain, comme l’a fait le célèbre Lucky Luciano. Le débarquement a bien lieu en 1943 grâce aux mafieux qui rallient la population avec leurs contacts et qui vérifient la faisabilité d’un tel projet. Ils se verront ensuite proposer le retour sur leur terre natale qui marquera le début d’une nouvelle ère de la mafia. C’est ainsi que Lucky Luciano rentre au pays en 1946 après un séjour en prison. Dès l’après guerre, elle devient une organisation criminelle transnationale, dont la base est à nouveau la Sicile et plus les Etats-Unis. Jusqu’aux années 1980, elle corrompt la police, les hommes politiques et les entreprises de l’île. C’est ce que va révéler le plus important procès antimafia de toute l’Italie.

La Piovra où le clan familial par excellence

Au sein de la Cosa Nostra, la notion d’appartenance est primordiale. L’organisation de type mafieux est réputée et crainte pour sa capacité à renouveler sans cesse ses réseaux. Elle est d’ailleurs surnommée la Piovra (la pieuvre) car elle peut mobiliser très rapidement tous ses membres. La mafia sicilienne est basée sur une hiérarchie extrême qui va de paire avec une subdivision du territoire. Elle est dirigée par un bureau décisionnaire d’où partent tous les ordres et toutes les actions. Ce dernier est appelé la Coupole et son quartier général se trouve à Palerme. On y retrouve tous les chefs des cantons découpés par l’organisation (neuf au total). Il agit de la même façon que le Bureau Politique du parti communiste de l’URSS. Il s’appuie sur les membres inférieurs du clan pour faire remonter toutes les informations de la base au sommet et pour dicter sa politique. Chaque canton est composé de plusieurs Cosca, des familles au sens large qui gèrent un quartier, une zone ou une entreprise. Chaque famille délègue son pouvoir à des hommes d’action allant du simple soldat à l’homme d’honneur. Quelque-soit l’échelon, l’honneur du clan est toujours primordial et rien ne doit empêcher son bon fonctionnement.

La Società d’Onora est le fondement même de la Cosa Nostra. Ce code d’honneur est basé sur des principes à respecter dans toutes les circonstances. Il est interdit de mentir à un de ses collaborateurs tout comme de commettre un adultère. Le proxénétisme et les meurtres au sein du clan étaient aussi fermement condamnés. La guerre au sein de la hiérarchie a pourtant bafoué ces principes et les transgressions furent légions après la Seconde guerre mondiale. Ce code d’honneur est fondamental car c’est lui qui soude toutes ces familles à un même ordre. La population qui subit la faiblesse économique accepte donc la violence et l’illégalité car elles permettent la survie du tissu social grâce à la mafia. Actuellement, on compterait près de 5.000 hommes d’honneur et plus de 54 familles dans la seule ville de Palerme. Il y a toujours une très grande homogénéité dans ces familles. Au niveau biologique, les nombreux mariages croisés et les liens géographiques et économiques nouent encore plus le clan. Il y a une très grande importance du cercle de compagnonnage, des mariages et du clientélisme, ce qui peut inclure des centaines de personnes pour chaque famille. C’est ce modèle qui permit à la Cosa Nostra de s’exporter dans le monde car il était très facile de l’appliquer à d’autres villes.

L’internationalisation d’un savoir

Durement réprimée pendant la dictature mussolinienne, la mafia sicilienne est donc devenue clandestine. Ne pouvant plus s’exprimer librement, de nombreux siciliens se sont expatriés aux Etats-Unis en appliquant le même modèle qu’en Sicile. A leur retour en Italie après la guerre, ces Italiens de souche ont pu importer des produits américains en Europe. Ils ont ainsi été les précurseurs du trafic de cigarettes et de drogues. Le pouvoir italien ne pouvait s’opposer à ce retour du fait de la désorganisation résultant de la défaite et la chute du fascisme et a laissé carte blanche aux mafieux. De nombreux secteurs tombèrent donc sous l’égide de la mafia. La construction et les travaux publics furent rapidement accaparés. Le pizzo, cette somme d’argent réclamée pour protéger son commerce permit une rentrée d’argent significative. La sanction en cas de non paiement de ce dernier ne laissait aucun doute puisque la méthode de l’incendie du commerce était toujours utilisée pour stigmatiser les mauvais élèves. La Cosa Nostra a aussi su amener cette pointe de modernité qui caractérise l’Amérique du Nord en développant peu à peu le trafic de cartes bleus ainsi que des jeux et paris clandestins. Selon une étude européenne inscrite dans le rapport Eurispes, son chiffre d’affaire serait de 13 milliards d’euros par année. Encore aujourd’hui, il y aurait près de trois milles Italiens "mafieux" non déclarés sur le sol américain…Ils proviendraient en majorité de Sicile.

Le Maxi Procès et ses conséquences

Après deux guerres fratricides au sein de la mafia sicilienne visant à prendre son contrôle, le silence est toujours pesant pour évoquer son existence. Toto Riina, grand vainqueur de ce conflit règne en maître dans une hiérarchie bousculée par les évènements. Pourtant aux yeux du grand public et de l’Etat italien, il n’y a aucune présence de type mafieux en Sicile. Ce sont deux juges, Paolo Borsellino et Giovanni Falcone qui vont porter le coup le plus dur à la Cosa Nostra. En révélant son action, ils font prendre conscience à l’opinion que la mafia en Sicile n’est pas un leurre. C’est grâce à d’anciens mafieux repentis (un pentito en italien) que ces juges réussissent à obtenir des preuves. Ils ont pu ainsi révéler sa façon d’agir, d’où le nom de Cosa Nostra qui symbolisait ses méthodes d’actions et qui n’apparait que durant cette période. Le 10 février 1986 s’ouvre ainsi un procès mettant en cause 475 accusés dans un tribunal ultra sécurisé. La scène est surréaliste avec des cellules installées au sein même du tribunal pour que tous les inculpés assistent au déroulement du procès. Un grand nombre d’accusé furent mis au ban de leurs actes puis lourdement condamnés.

Malheureusement, la réaction de la Mafia ne fut que plus douloureuse. En 1992, à deux mois d’intervalle, les juges Falcone et Borsellino furent assassinés en plein cœur de Palerme. A chaque fois la méthode est la même. Sur ordre personnel de Toto Riina, une tonne de TNT mit fin à leurs jours. L’Etat venait de perdre une bataille qu’elle n’a que très peu reprise depuis. La Cosa Nostra est encore très largement présente et sa présence internationale la rend plus difficilement accessible. La répression des années 1980 l’a affaiblie mais elle reste très présente au niveau social. Depuis, elle a accru le contrôle sur ses membres et augmenté sa discipline pour éviter de nouveaux repentis qui pourraient la mettre dans l’embarras d’un procès public. La population ne peut que très peu manifester son désaccord par crainte de représailles et le silence règne de plus belle. La Cosa Nostra est donc en train de redevenir ce qu’elle était, une organisation secrète agissant dans l’ombre d’une société sicilienne dépendante et soumise à ses besoins.